Récit d'une avarie survenue le 17/9/2011 dans le NNO de Fécamp.
Skipper : Pierre Mazo
Equipier : Philippe Baudoin
Bateau : Voilier"Motus" Sun Legend 41 construit en 1987 appartenant au Skipper.
Partis du Solent en fin d'AM, du 16 Sept. en route pour retourner à
St Valery en caux.
Vers 21 Heures nous avons passé la tour du Nab, mais compte tenue des conditions
meteo : Vent d'ouest 25 Nœuds Motus marchant fort (7,5 nœuds) nous décidons
de mettre le cap sur Fécamp, car la porte de St valery sera fermée en fin de
nuit quand nous devrions arriver. Nous rallierons donc St valery après une petite
halte à Fécamp pour être à l'ouverture des portes de St valéry, à
la marée.
Nous amenons la grand-voile et la ferlons, le génois est en partie enroulé, il nous en reste les 2/3 de surface environ, le vent est de travers, Motus marche bien, la nuit qui tombe est claire.
Nous décidons de nous remplacer à la barre environ toutes les heures : la traversée ne sera pas longue, mais compte tenu du vent de travers assez soutenu, et de la mer, ce sont des conditions un peu fatigantes d'autant qu'à cette allure par cette force de vent le pilote automatique ne peut pas barrer : Il laisse le bateau partir au lof très souvent (malgré la grand voile amenée), il faut contrer à la barre les surventes et les vagues par le travers.
- O h30: je suis dans ma couchette coté babord depuis 30 minutes et je commence à sombrer dans le sommeil quand j'entend Philippe crier :
" Pierre vient vite". Je me précipite et je monte tel que je suis, (en chaussette et sans ciré) dans le cockpit.
Il fait Nuit, Philippe est venu vent arrière, on entend et on aperçoit le génois qui bat à l'avant de Motus, (il est seulement retenu par le bout de l'enrouleur) il n'y a plus d'étais, mais heureusement Philippe a abattu en grand dès la rupture et grâce à cela, le mat avec tout le gréement ne s'est pas brisé à la mer et sur le pont. Cependant, la situation est grave, tout peut dégringoler d'un instant à l'autre, car seuls les bas haubans avant retiennent le mat sur l'avant, de plus le tambour de l'enrouleur heurte la coque à chaque vague.
Immédiatement, je me précipite donc à l'avant en chaussette (sans harnais, ni bottes ni ciré …) et je fixe avec une amarre le tambour de l'enrouleur sur un taquet : l'étai ne se balade plus, et je fixe la drisse de spi sur l'étrave pour éviter le dématage : Tout est réalisé en 3 ou 4 minutes. mais notre route au 90 ° (vent arrière) ne nous mène vers aucun abris (nous sommes à 34 milles au nord de Fécamp) : il faudrait donc faire route vers Dieppe (au 120 °) Fécamp est maintenant dans le 140 ° c'est beaucoup trop prêt du vent avec un mat sans étais. Mais, pour rejoindre Dieppe (qui est un peu plus loin en revanche, mais sur une route plus abattue) il faut impérativement amener le génois qui bat et consolider par des drisses le mat vers l'avant.
Le problème c'est que pour amener le génois il faut pouvoir le dérouler, or pour cela il faut décoincer le tambour et le bout de l'enrouleur complètement entortillé, dans tous les sens.
Il faut aussi réussir à fixer un raban sous le tambour pour qu'il puisse tourner et dégager le "merdier" du bout d'enrouleur.
Donc Immédiatement, je décide de retourner à l'avant et de "faire ce qu'il faut" pour sauver ma mature, on allume le feu de pont, philippe me dit de m'équiper mais :
1 - je n'ai déjà plus un poil de sec sur moi, l'étrave ayant plongé plusieurs fois dans la mer quand j'étais à l'avant.
2 - Je veux faire le plus vite possible, le mieux possible et sans entrave.
3 - Je veux sauver ma mature, mon gréement … c'est tout, c'est une idée fixe. Donc j'y retourne et je travaille avec acharnement pendant 30 à 40 Minutes sur l'étrave de Motus :
- Je fixe la deuxième drisse de génois sur l'étrave et au winch de mat je l'étarque "à mort".
- Je Fixe un bout sous le tambour de l'enrouleur que je relie à l'étrave.
- Je dégage l'amarre que j'avais mis pour fixer le tambour de l'enrouleur.
- Je coupe au couteau tout le "merdier" du bout de l'enrouleur qui s'était entortillé autour du point d'amure, enrouleur, etc.
Et : "Hourah" (crie de victoire de Philippe depuis la barre) : le foc se déroule, je sais maintenant que nous avons presque gagné. J'espère que le "profilé" de l'enrouleur n'a pas trop "morflé" et que le génois va descendre.
Oui ca descend , J'amène donc le génois qui tombe à la mer et je le remonte à bord par-dessus les filières (c'est un peu lourd et plein d'eau) mais petit à petit il monte à bord ...
Je coupe à la tétière la drisse de génois pour l'utiliser comme étais : (il est fait dans un cordage extrèmement dur et résistant (7 tonnes de traction) comme un cable), je la fixe et la raidis.
J'utilise le "hale-haut" de tangon pour fixer le "profilé" de l'étais, le long des drisses qui me servent d'étais (Il y en a 3, maintenant) afin d'éviter qu'il ne batte.
Je fixe sérieusement le tambour d'enrouleur à l'aide d'amarre sur les taquais d'étrave.
Je retourne dans le cockpitt, je claque des dents, heureux comme ceux qui en ont terminé avec les 3 "F" de la plaisance: "Frousse, Fatigue, Froid", et le bonheur d'avoir sauvé ma mature, mon Motus est total, Philippe a bien maintenu le bateau vent arrière pendant toutes ces 30 à 40 minutes de bataille de forçat sur la plage avant, nous démarrons le moteur, après avoir bien vérifié qu'aucun bout ne traine à l'eau (un bout dans l'hélice, non merci) et nous faisons route sur Dieppe.
Je mets des vètements secs je vais faire un petit roupillon dans ma bannette avant de reprendre la barre à Philippe qui lui aussi est bien fatigué.
8 Heures du matin Motus entre au petit jour dans le port de Dieppe.